mardi 15 juillet 2008

Des Dada au Cabaret Voltaire à Zurich (1916) aux Surréalistes

Les soirées de feu du cabaret Voltaire

Retour sur un lieu mythique

Le cabaret Voltaire, ouvre ses portes le 5 février 1916 au numéro 1 de la petite Spiegelgasse, la rue même où demeure Lénine. Dans un journal local paraît le lendemain une annonce intitulée « Le cabaret Voltaire ». « Sous cette dénomination s’est constituée une association de jeunes artistes et écrivains dont le but est de créer un centre de divertissement artistique qui existe depuis 1914 et se déplace de café en café sous le nom de Cabaret Pantagruel ». Emmy Hennings créée une publication du même nom, qui est vue par les autorités comme « un repaire d’immoralité » pour « dangereux socialistes et anarchistes ». Hugo Ball est alors un pianiste plus ou moins au chômage. Un beau jour, il découvre un « ravissant petit bistro », la Métairie hollandaise. Il demande à son patron la possibilité d’utiliser une salle désaffectée, ce qui lui est accordé. Le peintre roumain Marcel Janco le rencontre dans ce café et lui propose de le mettre en contact avec deux de ses amis, Tristan Tzara et Jean Arp. Il n’a pas d’argent pour faire des travaux. L’installation est très simple, se limitant à une estrade, des fenêtres camouflées avec du papier opaque, une lampe à gaz au plafond, lequel est repeint en noir alors que les murs sont bleus. Ses amis lui prêtent leurs oeuvres, et ainsi des tableaux futuristes, cubistes et expressionnistes sont-ils accrochés un peu partout. Les journaux parlent d’une « taverne d’artistes ». « En principe, le cabaret sera animé par des artistes, invités permanents, qui, lors de réunions quotidiennes, donneront des représentations musicales et littéraires. Les jeunes artistes zurichois, de toute tendance, sont invités à nous rejoindre avec des suggestions et des propositions. »

Hugo Ball note dans son journal les événements qui ponctuent cette soirée inaugurale du 5 février 1916 : « La salle était pleine à craquer, de nombreuses personnes ne trouvèrent pas de place pour s’asseoir. Vers six heures du soir, alors que nous étions encore affairés à clouer et à installer des affiches futuristes, arriva une délégation à l’allure orientale composée de quatre petits hommes avec des cartons à dessins et des toiles sous le bras. Ils saluèrent avec politesse et beaucoup de courbettes et ils se présentèrent : Marcel Janco, écrivain, Tristan Tzara, Georges Janco, et un quatrième dont je ne compris pas le nom. » Emmy Hennings interprète des chansons françaises et Tzara lit des poèmes roumains. Un orchestre de balalaïkas joue des airs populaires russes. Le chahut est énorme car il y a bon nombre d’étudiants, à tel point que Ball doit faire une annonce pour rétablir le calme : « Mesdames et messieurs, le cabaret Voltaire n’est pas une boîte à attractions comme il y en a tant. Nous ne sommes pas rassemblés ici pour voir des numéros de frou-frou et des exhibitions de jambes, ni pour entendre des rengaines. Le cabaret Voltaire est un lieu de culture. »

À partir de cette date, le cabaret Voltaire se change en un prodigieux forum de l’avant-garde. Le 11 février, Richard Huelsenbeck arrive de Berlin et, le lendemain, on organise une soirée en hommage aux poètes allemands tombés sur le front. Le 12 mai, les poètes préparent une soirée expressionniste, qui est assez tumultueuse. La musique qu’on y interprète est encore conventionnelle, en dehors de celle d’Igor Stravinsky, mais les poèmes qui y sont lus sont sortis des cerveaux les plus novateurs : Vassili Kandinsky, Frank Wedekind, Blaise Cendrars, Jules Laforgue, André Salmon, Max Jacob, Guillaume Apollinaire et tant d’autres, puis des auteurs de poésie phonétique. Des spectacles y sont également montés. Ball veut réaliser « les idéaux de la culture et de l’art comme programme pour un spectacle de variétés ». Mais qu’on ne croie pas qu’il était réservé aux seules avant-gardes et que ses visées étaient sectaires : on y fait la lecture de textes de Voltaire, de poèmes de Franz Werfel, on y lit des pièces de Tourgueniev et de Tchekhov au cours d’une soirée russe, on y interprète Une berceuse, de Claude Debussy, et on y discute très ouvertement et très librement les nouvelles orientations de l’art en ces temps troublés. Toutefois, sous l’influence de Huelsenbeck, le cabaret change d’orientation. Selon Ball, il devient « un champ de bataille d’excitations démentes ». Le public est agressé. Huelsenbeck entre en scène en fouettant l’air de coups de cravache, puis récite des poèmes avec un ton insolent en les accompagnant des sifflements rythmés d’une mince canne en bois de rose. Rires et sifflets fusent dès qu’il se montre. Mais l’essentiel du spectacle est constitué par la lecture de poèmes par Hugo Ball et les chansons d’Emma Hennings. « De temps à autre, explique Huelsenbeck, un homme s’échappait de l’auditoire ou grimpait en titubant sur la scène. Il voulait réciter quelque chose, mais le plus souvent il n’allait pas très loin. Sa voix enivrée lui restait dans la gorge. Parfois aussi, quelqu’un se précipitait pour taper du poing sur le piano et le patron arrivait, le menaçant de se flanquer à la porte. » Vers le mois de mars 1916, le ton monte : « Il était clair qu’il fallait renverser le monde. Notre volonté était de préparer une offensive comme jamais n’avaient pu encore en voir les nations engagées dans la guerre. » Hugo Ball a couché par écrit le récit de la soirée du 23 juin : « Mes jambes se dressaient dans une colonne cylindrique en carton qui m’enserrait jusqu’aux hanches, si bien que pour le bas je ressemblais à un obélisque. Pour le haut, je portais une énorme cape en carton-pâte, collée à un papier écarlate à l’intérieur et doré à l’extérieur qui permettait de maintenir l’ensemble tout contre le cou, de sorte qu’en levant ou baissant les coudes je pouvais faire bouger cette cape comme des ailes. À cela s’ajoutait un haut chapeau de chaman cylindrique, aux rayures blanches et bleues […]. À un moment il m’a semblé voir surgir à l’intérieur de mon masque cubiste le visage blême et bouleversé d’un jeune garçon, le visage mi-effrayé mi-curieux d’un enfant de dix ans qui, tremblant, est stupidement suspendu aux lèvres des prêtres de sa paroisse durant la messe des morts et les grand-messes. »

Marcel Janco évoque avec émotion ces heures qui représentent un moment crucial de l’épopée de la création moderne en Europe et qui ne couvrent en fin de compte qu’une période de six mois : « Ce fut le rendez-vous des arts. Ici se coudoyaient peintres, étudiants, révolutionnaires, touristes, escrocs internationaux, psychiatres, sculpteurs et de gentils espions à court d’informations. Dans la fumée épaisse, au milieu du bruit des déclamations ou d’une chanson populaire, il y eut des apparitions soudaines comme celle de l’impressionnante figure mongole de Lénine, encadré d’un groupe, ou celle à barbe assyrienne de Laban, le grand danseur. » Dans son souvenir, la réalité et le mythe se confondent : mais c’est aussi ainsi que le cabaret Voltaire est devenu un des lieux emblématiques de la révolution des arts du XXe siècle.

Le cabaret Voltaire est l’apothéose et le dépassement de la forme de cabaret apparue à Paris avec le Chat noir, à Munich avec les Onze Bourreaux et à Vienne avec la Chauve-souris. Hugo Ball l’a interprétée pour la porter à un sommet qui s’écarte de façon définitive du lointain modèle montmartrois. C’est le premier cabaret artistique en absolu. Et, au bout de plusieurs mois d’activité fébrile, Hugo Ball en tire les premières conclusions : « Notre cabaret est un geste. Chaque mot prononcé ou chanté ici signifie pour le moins que cette époque avilissante n’a pas réussi à forcer notre respect. D’ailleurs, qu’a-t-elle de respectable ou d’impressionnant ? » Et il prend un tour de plus en plus expérimental avec la création de la Langtgeditche (« poésie phonique ») et toutes sortes de poésies bruitistes, simultanées, etc. Ball lit son poème Karawane en costume oriental et, lors d’une autre soirée, il apparaît dans un costume cubiste. En mars 1916, Tzara, Janco et Huelsenbeck écrivent ensemble un poème simultané, L’amiral cherche une maison à louer, qui est lu accompagné au son du sifflet et d’une grosse caisse. Le point culminant de cette recherche est la soirée du 14 juillet 1916 avec Autoren-Abend II Dada Abend au Zunfthaus zur Waag.

Le numéro unique de la revue Cabaret Voltaire, tirée à cinq cents exemplaires, paraît en mai 1916. Elle est bilingue (français et allemand) et contient des poèmes d’Apollinaire, de Kandinsky, des poèmes motlibristes de Marinetti, des textes de Ball et de Huelsenbeck. La couverture est signée par Jean Arp.

Un soir du printemps 1916, Huelsenbeck fait une déclaration donnant naissance officiellement à dada : « Nobles et respectés citoyens de Zurich, étudiants, artisans, ouvriers, vagabonds errant sans but de tous les pays, unissez-vous. Au nom du cabaret Voltaire et de mon ami Hugo Ball, fondateur de cette docte institution, j’ai à vous faire ce soir une déclaration qui va vous ébranler. J’espère qu’il n’en résultera pas pour vous aucun mal physiquement, mais ce que nous avons maintenant à vous dire va vous toucher comme une balle. Nous avons décidé de rassembler nos activités diversifiées sous le nom de dada. Nous avons trouvé dada, nous sommes dada et nous avons dada… » Tzara et Ball annoncent la prochaine parution de la revue Dada. Ils veulent aussi créer une société Voltaire et réaliser une exposition internationale qui reste lettre morte. Le cabaret ferme en juillet 1916. Des soirées sont organisées ensuite dans la salle Zur Waag puis à la Galerie dada, sous l’égide de Tzara.

La dérision dadaïste procède peu à peu de cette interrogation sur l’effondrement du monde occidental. Johannes Baader a pu écrire alors : « Dada est le cabaret du monde, autant que le monde est le cabaret dada. » Le Manifeste dadaïste de Tzara paraît plus tard, en 1918.

Gérard-Georges Lemaire

Journal L'Humanité


Changer l'homme

Le mouvement Dada était antibourgeois, antinationaliste et provocateur. Les surréalistes continuèrent sur cette lancée subversive. « Nous n'acceptons pas les lois de l'Économie ou de l'Échange, nous n'acceptons pas l'esclavage du Travail, et dans un domaine encore plus large nous nous déclarons en insurrection contre l'Histoire. » (tract La Révolution d'abord et toujours). Ces principes débouchent sur l'engagement politique : certains écrivains surréalistes adhèrent, temporairement, au Parti communiste français .

Aucun parti, cependant, ne répondait exactement aux aspirations des surréalistes, ce qui fut à l'origine des tensions avec le Parti communiste français. André Breton n'a pas de mots assez forts pour flétrir « l'ignoble mot d'engagement qui sue une servilité dont la poésie et l'art ont horreur. » Dès 1930, pourtant, Louis Aragon acceptait de soumettre son activité littéraire « à la discipline et au contrôle du parti communiste ». La guerre fit que Robert Desnos et Paul Eluard le suivirent dans cette voie pendant quelques années. Condamnation de l'exploitation de l'Homme par l'Homme, du militarisme, de l'oppression coloniale, des prêtres pour leur œuvre qu'ils jugent obscurantiste, et bientôt du nazisme, volonté d'une révolution sociale ; et plus tard, enfin, dénonciation du totalitarisme de l'Union Soviétique, tels sont les thèmes d'une lutte que, de la guerre du Maroc à la guerre d'Algérie, les surréalistes ont menée inlassablement. Ils ont tenté la synthèse du matérialisme historique et de l'occultisme, en se situant au carrefour de l'anarchisme, et du marxisme, fermement opposés à tous les fascismes et aux religions.

Surréalisme

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Le surréalisme est un mouvement artistique qu'André Breton définit dans le premier Manifeste du Surréalisme comme « automatisme psychique pur, par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale ».

Sculpture de Giorgio de Chirico, Ettore e Andoromaca
Sculpture de Giorgio de Chirico, Ettore e Andoromaca

Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d'associations négligées jusqu'à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie [...] »[1].

C'est dans une lettre de Guillaume Apollinaire à Paul Dermée, de mars 1917, qu'apparaît pour la première fois le substantif « surréalisme » : « Tout bien examiné, je crois en effet qu'il vaut mieux adopter surréalisme que surnaturalisme que j'avais d'abord employé. Surréalisme n'existe pas encore dans les dictionnaires, et il sera plus commode à manier que surnaturalisme déjà employé par MM. les Philosophes. »

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le « supernaturalisme » de Gérard de Nerval et des romantiques allemands, le « surnaturalisme » d'Emmanuel Swedenborg et de Charles Baudelaire et aussi le symbolisme de Stéphane Mallarmé peuvent être considérés comme des mouvements précurseurs du surréalisme. Plus sûrement, les œuvres littéraires d'Alfred Jarry, d'Arthur Rimbaud et de Lautréamont, et picturales de Gustave Moreau et Odilon Redon sont les sources séminales dans lesquelles puiseront les premiers surréalistes (Louis Aragon, Breton, Paul Éluard, Philippe Soupault). Quant aux premières œuvres plastiques, elles poursuivent les inventions du cubisme. Cette aventure (« une attitude inexorable de sédition et de défi ») passe par l'appropriation de la pensée du poète Arthur Rimbaud (« changer la vie »), de celle du philosophe Karl Marx (« transformer le monde ») et des recherches de Sigmund Freud[2] : Breton s'est passionné pour les idées de Freud [3]qu'il a découvertes dans les ouvrages des français Emmanuel Régis et Angelo Hesnard en 1917.[4] Il en a retiré la conviction du lien profond unissant le monde réel et le monde sensible des rêves, et d'une forme de continuité entre l'état de veille et l'état de sommeil (voir en particulier l'écriture automatique). Dans l'esprit de Breton, l'analogie entre le rêveur et le poète, présente chez Baudelaire, est dépassée. Il considère le surréalisme comme une recherche de l'union du réel et l'imaginaire : « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue. »[5


+ d'infos

André Breton (WIkipedia)

http://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Breton

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